Journée des Droits des Femmes : Une conférence sur le Droit de Cité.
Ce matin j'ai eu l'occasion de participer à une conférence organisée par le CIDFF de Seine-Maritime et la Ville de Saint-Etienne-du-Rouvray, dans le cadre de la Journée des Droits des Femmes. Le thème abordé était le suivant : Le droit de cité, soit comment les femmes peuvent vivre sereinement dans l'espace public. Pour cela, la sociologue Dominique Poggy a animé une conférence de deux heures qui, selon moi, bouleverse énormément de représentations.
Cette conférence s'est déroulée en deux parties : un état des lieux sur la place des femmes dans l'espace public et une présentation d'une démarche innovante : les marches exploratoires.
L'état des lieux sur la place des femmes dans l'espace public (rue, transports en communs, magasins, restaurants, cinémas, plage, jardin public...) révèle une toute autre réalité sur les violences subies par les femmes.
Les chiffres, issus de l'ENVEF (Enquête Nationale sur les Violences faites aux Femmes) réalisée en 2001, sont les suivants :
- 1/5 des femmes affirment avoir subi au moins une violence dans l'espace public durant les douze derniers mois, dont 13 d'insultes, 5% d'avoir le sentiment d'être suivi, 3% d'exhibition, 2% d'agressions sexuelles.
- Parmis ces femmes ayant subi au moins une violence, les 3/4 ont eu lieu dans un lieu fréquenté;
- les 2/3 de ces violences se sont déroulés le matin ou en journée;
- dans 65% des cas, d'autres personnes étaient présentes au moment des faits.
- les moins de 25 ans sont celles qui sont le plus victimes d'insultes et d'agressions sexuelles.
Ces chiffres cassent un certain nombre de mythes (véhiculés par les médias et les administrations) sur la réalité des violences faites aux femmes. Non, ce n'est pas le soir, en pleine, seule dans une ruelle isolée.
Pour compléter ce premier tableau, voici d'autres chiffres tout aussi éloquents sur la réalité des violences faites aux femmes , issues des statistiques élaborés par le numéro vert pour les femmes victimes de violences:
- 60% des agressions sexuelles au lieu au domicile de la femme;
- 83% de ces agressions sont faites par des proches;
- La mort par violence des femmes est la première cause de mortalité des 16-40 ans, devant les accidents de voiture.
Là aussi, le mythe de la femme violée dans la rue est bien loin de la réalité. La récente affaire de la joggeuse disparue illustre la volonté médiatique et politique de jouer sur la peur des gens en faisant croire que la rue, l'espace public, sont des lieux dangereux.
Concernant le sujet même de la conférence, la Dominique Poggy expose les résultats d'une recherche-action réalisée dans le Val d'Oise auprès de femmes issues diverses villes du département (Gonesses, Garge-les-Gonesses, Sarcelles...) pour comprendre comment ces femmes s'appropriaient l'espace public. Dans les entretiens, deux sujets non recherchés sont ressorties : la violence subie par ces femmes et l'aménagement urbain leur est inadapté.
Concernant la violence subie par les femmes : l'accès à la rue et à l'espace public est extrêmement contrôlé. Les femmes restent cantonnées au foyer pour les tâches ménagères et s'occuper des enfants. Cet espace public est donc principalement réservé aux hommes. Les sorties leur sont autoriées à des heures et sous certaines conditions.
Même si les parents posent les règles, ce sont les frères qui les appliquent. Cela pose donc des contraintes sur l'accès aux espaces publics pour ces femmes. Pour cela, les femmes développent diverses stratégies de contournement. C'est par exemple le mensonge en sortant vêtue de manière à être accepté dans la rue puis, dès la sortie du quartier, elles sortent de leur sac des vêtements qui leur plaisent. D'autres jouent le jeu en sh'abillant en basket, sweat, jogging. D'autres encore, développent des stratégies de réussite - scolaire, sportive, culturelle - pour se faire plaisir et, ainsi, faire mieux que les garçons. Enfin, certaines appellent clairement à la résistance au machisme culturel. Ce tableau un peu sinistre des quartiers populaires est à relativiser dans la mesure où le centre-ville est également un espace de violences pour les femmes de toutes origines sociales.
S'ajoute à cela le sentiment de peur lié à l'ambiance de dégagé par l'espace public. Pour se rassurer, les femmes mettent en place des tactiques : possession d'un objet faisant du bruit, type sifflet, port de vêtement adpatés pour le soir, un positionnement du corps et un regard posé pour ne pas attirer l'attention, ne pas rentrer tard le soior ou dormir chez des amis le temps d'une soirée, prendre plutôt le taxi que les transports en commun. Ces préconisations sont prises de manière individuelle, chaque développant sa propre stratégie en fonction de son niveau de crainte.
Cette attitude n'est pas naturelle parce que la femme est a priori une personne fragile et sans défense, mais une construction sociale dont les sources d'information sont les véhicules.
Le deuxième élément était leur place dans l'aménagement urbain. la plupart des technciens de l'aménagement du territoire sont des hommes et, qu'on le veuille ou non, leur approche est forcément imparfaite. Ex : la circulation sur les trottoirs avec des poussettes. Ces femmes dénoncent un aménagement urbain peu propice à son appropriation.
Pour tenter de recréer ce lien entre femme et espace public, Dominique Poggy a travaillé à partir d'une démarche innovante, provenant d'Amérique Latine et du Québec, appelé Marches exploratoires. Cet outil de diagnostic a pour but de réaliser de manière participative avec des femmes d'un quartier, des techniciens et des élus, un état des lieux sur l'organisation de l'espace urbain d'un quartier de la ville prédéfini. Cette démarche permet de créer du lien social dans la mesure où femmes, élus, techniciens, échangent sur le fonctionnement de l'espace public : éclairage, aménagement des trottoirs, signalisation, aménagement d'un jardin public, tout passe au crible de ce diagnostic.
Cette méthode a l'intérêt de susciter une dynamique de (ré)appropriation de l'espace public par les femmes en luttant contre ce sentiment de peur et, ainsi recréer du lien social.
Cette conférence, riche d'enseignements, démontre parmi une presse plutôt prolifique en ce jour sur la question des femmes dans notre société, le long chemin qui reste à parcourir pour que la femme ait la même place que l'homme dans l'espace public. Il peut sembler incroyable de penser qu'il reste beaucoup de travail pour une catégorie de population que représente la moitié de l'humanité.