Une salariée licenciée en raison de sa laideur

Publié le par Eligi Formation

 

Une ancienne employée de la filiale japonaise de Prada attaque en justice son employeur pour licenciement abusif, après avoir été mise à la porte en raison de sa laideur…. L’histoire pourrait presque faire rire, si elle ne soulevait pas un problème plus profond, celui des discriminations liées à l’apparence physique. Eclairage.

L’ex salariée de la filiale japonaise de Prada se souviendra de son passage dans l’entreprise. Le directeur des ressources humaines lui a demandé de changer de coupe de cheveux, de perdre du poids et de s’entretenir physiquement, afin de correspondre à l’image de marque de Prada. Quelque temps plus tard, elle était licenciée en raison de sa prétendue « laideur ».

 

Les discriminations fondées sur l'apparence physique sont illégales

Il est peu probable qu’une telle situation puisse se produire en France. Notre droit du travail est protecteur à l’égard des discriminations fondées sur l’apparence physique.

Depuis une loi du 16 novembre 2001, la discrimination fondée sur l'apparence physique est expressément prohibée par l'article L. 1132-1 du Code du travail.

Toutefois, la pratique n'a pas pour autant disparu dans les entreprises et se manifeste de manière plus incidieuse.

Ainsi, en 2006 la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a été saisie car le questionnaire d'embauche d'une agence d'hôtesse d'accueil contenait les rubriques suivantes : taille, poids, tour de poitrine et bonnet.

La Halde avait également attiré l'attention des juges sur le problème des discriminations fondées sur l'apparence physique dans deux affaires de harcèlement. En l'espèce, les salariés avaient subi de nombreuses brimades en raison l'un de sa forte corpulence, l'autre de son extrême maigreur.

Dans son rapport annuel pour l'année 2009, rendu public le 5 mars 2010, la HALDE s'est félicitée des suites favorables données à ses recommandations par la Cour d'appel de Douai dans deux arrêts du 31 mars 2009.

L'éclairage de Maitre Emilie Bels, associée du Cabinet Z, avocate spécialisée en droit social

«Si la taille, le poids ou l’esthétique font partie intégrante de la notion d’apparence physique, comment doit-on appréhender le maquillage, la coiffure, ou d’une façon générale le soin apporté à ses mains, à ses ongles ou à ses cheveux ?

On sait que ces critères sont décisifs dans l’univers du luxe et qu’ils conditionnent, sans que personne n’ose l’avouer, l’embauche des salariées destinées à se maintenir au contact de la clientèle. Pour autant, il faut croire que ces critères ne peuvent valablement être contractualisés même si la jurisprudence est curieusement silencieuse sur le sujet.

En effet, si les illustrations jurisprudentielles fleurissent en matière de tenue vestimentaires pour laquelle il a été instauré un principe de proportionnalité (l’employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires que si elles sont justifiées par la nature du poste), il apparaît que nos juridictions sont rarement saisies de discrimination aussi flagrante que celle qui a été surprise au Japon.

A l’instar des restrictions apportées à la liberté de se vêtir qui doivent répondre à des exigences de sécurité être justifiées par la nature de la tache à accomplir et répondre à des exigences de sécurité, d’hygiène ou à des exigences commerciales, il serait souhaitable que les juridictions appliquent ce même principe de proportionnalité à ce qui relève de la présentation du salarié.»

La notion d'apparence physique mérite d'être précisée

Dans une affaire relative au port du voile, Maitre Emilie Bels rappelle que le Conseil de Prud'hommes de Paris a précisé que « si le législateur avait entendu limiter l’apparence physique au corps, il pouvait évoquer simplement l’apparence corporelle ou même, de manière plus restrictive, la physionomie…  Lorsqu’un salarié se présente, c’est son aspect général qui est vu, c'est-à-dire aussi bien sa physionomie, sa constitution physique et sa tenue vestimentaire. Il y a donc lieu de considérer que la notion d’apparence physique renvoie à l’ensemble de ces éléments. » (Conseil de Prud'hommes Paris 17 décembre 2002 Dalila Thari/ Sté Téléperformance).


L'employeur peut imposer certaines restrictions

Que ce soit lors de la phase de recrutement ou tout au long de sa carrière dans l'entreprise, l'employeur ne peut discriminer ou sanctionner un salarié en raison de son apparence physique. Pour autant le salarié n'est pas totalement libre et l'employeur est susceptible de lui imposer certaines contraintes dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées.

Ainsi, pour des raisons d'hygiène et de sécurité, on peut légitimement penser qu'un employeur peut imposer à ses salariés de s'attacher les cheveux pour éviter tout incident. Autre exemple, celui des piercings. Les tribunaux français ont jugé que les salariés refusant de retirer leurs piercings à la suite de demandes répetées de leur employeur ne pouvait soutenir que leur licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Une frontière floue entre le pouvoir discrétionnaire de l'employeur et la discrimination

Que penser du cas dans lequel une esthéticienne chargée de vendre des produits amincissants est sommée par son employeur de perdre quelques kilos à la suite de reflexions de clientes septiques quant à l'efficacité des produits ?

Cependant, il peut sembler légitime qu'un employeur attende de ses salariés qu'ils représentent l'image de la société, notamment lorsqu'ils sont en contact avec les clients. A ce titre, il est important de rappeler que la Cour de cassation, dans l'affaire dite du bermuda, a retenu que les contacts avec la clientèle légitimaient les restrictions à la liberté de se vêtir. Cette solution pourrait être transposée concernant les discriminations sur l'apparence physique proprement dite.

Enfin, les tribunaux apprécient au cas par cas les injonctions faites au salarié sur son apparence physique, en prenant en compte la justification apportée par l'employeur et sa proportionalité. Ainsi, la Cour d’Appel d’Orléans a déclaré abusif le licenciement du réceptionniste d’un hôtel qui avait été principalement motivé par « certains changements de son aspect physique » et notamment le port d’une barbe. Dans la même lignée, il a été jugé que le port d’un bouc n’ayant pas eu pour effet de rendre la présentation du salarié peu soignée ne peut justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

A l’opposé, il a été jugé que l’employeur exploitant une boucherie pouvait valablement interdire à son salarié le port de la barbe lorsque cette restriction répondait à des normes d’hygiène.

Les conséquences du licenciement fondé sur l'apparence physique

La loi sanctionne par la nullité toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions relatives à la discrimination (article L 1131-4 du Code du travail). En conséquence, toute sanction discriminatoire, y compris le licenciement, doit être annulée.

Le salarié a donc le droit à sa réintégration dans l'entreprise. Néanmoins, la jurisprudence reconnaît le droit au salarié de renoncer à cette réintégration. Dans cette hypothèse, le salarié a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, et d'autre part, à des dommages et intérêts pour licenciement abusif (au moins égale à six mois de salaire).

A noter que les salariés victimes de discriminations ou de sanctions en raison de leur apparence physique ne peuvent intenter une action au pénal, lorsque la discrimination constitue une «exigence professionnelle essentielle et déterminante sous réserve qu'elle soit légitime et proportionnée».


 

Publié dans Apparence physique

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