Le délit de faciès des patrons
Les patrons sont parfois soupçonnés de discrimination à l'embauche. A en croire une récente étude (1), il se pourrait bien qu'ils subissent ou bénéficient - c'est selon -de la même injustice. Trois professeurs d'économie de la prestigieuse Duke University aux Etats-Unis, sont partis d'un constat : le jugement des hommes à l'égard de leurs semblables s'arrête souvent à la première impression qu'ils se font d'eux. Un jugement déterminé en grande partie par les grâces ou disgrâces physiques de tout un chacun.
D'où cette « prime à la beauté », identifiée il y a plus de dix ans, qui montre qu'un homme ou une femme répondant aux critères de beauté de son époque gagnera forcément plus d'argent qu'une personne perçue comme laide. D'où aussi, comme l'ont suggéré des recherches récentes, cette propension que les électeurs ont de voter pour l'homme ou la femme politique jugé(e) le (la) plus compétent(e) sur la base de son physique. Il a suffi aux trois auteurs académiques de mettre des séries de paires de photos côte à côte pour le prouver. D'un côté, la photo d'un directeur exécutif, de l'autre un quidam disposant des mêmes caractéristiques générales (couleur de peau, coupe de cheveux, lunettes, etc.). Et cette question à quatre entrées : « Quelle personne est plus : compétente ? Loyale ? Aimable ? Attractive ? ». Résultat : une nette majorité des 765 individus interrogés sur une série de 87 paires de portraits désignent spontanément le directeur exécutif comme étant plus « compétent » et légèrement plus « attractif » que son comparse anonyme.
Mais aussi, ironiquement, ces mêmes patrons sont perçus comme moins « aimables » et moins « loyaux ». En suivant le même principe, les professeurs de Duke University ont mis en vis-à-vis des photos de directeurs exécutifs de petites sociétés et des directeurs exécutifs de grosses sociétés. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les patrons de grandes sociétés sont perçus comme plus « compétents » et comme moins « aimables ». Mieux, les directeurs exécutifs jugés « compétents » sont souvent mieux payés dans les faits. Minutieux, les professeurs se sont alors attachés à étudier la performance des sociétés dirigées par les directeurs exécutifs perçus comme « compétents ». Que notre conscience égalitaire se rassure, il n'existe aucune preuve que les dirigeants aux visages compétents pilotent mieux leurs entreprises.
Matthieu Rosemmain, Les Echos